Les esclaves oubliés de Tromelin de Sylvain Savoia

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Quatrième de couverture : 

En 1761, un vaisseau de la Compagnie des Indes fait naufrage sur un îlot perdu de l’Océan Indien. Quatre vingts esclaves vont survivre sur ce bout de caillou traversé par les tempêtes. Ce n’est que le 29 Novembre 1776, quinze ans après le naufrage que l’enseigne de vaisseau Tromelin portera secours à huit rescapés : sept femmes et un enfant de huit mois.
Max Guérout, archéologue et ancien officier de marine, a monté plusieurs expéditions pour retrouver les traces du séjour des naufragés. Il a invité le dessinateur Sylvain Savoia à les rejoindre lors d’une expédition sur l’île de Tromelin. De là est né ce livre : une bande dessinée qui redonne la parole à ces esclaves oubliés, mêlée au journal de bord d’une mission archéologique.

Editeur : Dupuis – Aire Libre

Nombre de pages : 120

Prix : 20,50€

Date de parution : 24 Avril 2015

Mon Avis :

Je découvre toujours grâce à Boudicca du Bibliocosme des bandes dessinées historiques très intéressantes à l’instar du Photographe de Mauthausen dont je vous ferai la chronique très prochainement. Et une fois de plus, son coup de coeur a été le mien!

1761 : Sur l’île de Madagascar, le capitaine Jean de Lafargue embarque à bord de son navire L’utile une cargaison de vivres pour les revendre sur l’île de France (île Maurice aujourd’hui) ainsi que 160 esclaves de manière illégale. Conscient qu’il brave la loi, il décide de suivre une nouvelle route pour rallier sa destination. Malheureusement, son navire s’échoue sur un récif de corail, le 31 juillet à quelques  centaines de mètres d’une toute petite île inhospitalière. Sur les 160 esclaves, seuls 80 ont survécu et du côté des marins, 17 ont péri.
2008 : Sylvain Savoia, dessinateur, part pour l’île de Tromelin pour une durée d’un mois et demi. Sur place, l’équipe d’une douzaine de personnes est composée de techniciens et de scientifiques en tout genre (météorologues, archéologues ou historiens). C’est le chef de mission et archéologue Max Guérout qui a convié l’auteur de la bande dessinée pour non seulement illustrer cette seconde campagne de fouille mais aussi redonner vie aux esclaves de Tromelin dont le séjour de quinze ans aura laissé des traces sur l’île.

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La bande dessinée est parfaitement équilibrée car elle se compose de deux parties, d’un épilogue et d’un dossier documentaire d’une douzaine de pages à la fin. Dans chaque partie, elle alterne entre le XVIIIème siècle et le XXIème siècle ce qui donne beaucoup de dynamisme au récit et provoque l’attente chez le lecteur.

La partie du XVIIIème siècle est pour moi la plus intéressante. Et l’auteur a fait un choix scénaristique des plus originaux. En effet, il part du point de vue de Tsimiavo, une des jeunes femmes esclaves embarquées à bord de l’Utile et qui fera partie des rescapées. Ainsi, les Blancs parlent une langue incompréhensible et grâce au récit, le lecteur partage les sentiments de la jeune femme :
– l’épouvante d’être arrachée de sa terre natale pour être acheminée dans un lieu inconnu et dans des conditions abominables.
– la colère lorsque les Français l’abandonnent, elle et les siens, sur l’île, en promettant de venir les chercher…
– le désespoir d’avoir été abandonnée et de ne pouvoir s’échapper de cette prison à ciel ouvert.

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Ce choix scénaristique n’aurait pas été possible sans l’éclairage nouveau des campagnes de fouilles menées par Max Guérout. En effet, les sources de l’époque sont lacunaires et donnent essentiellement le point de vue des Blancs que ce soit le récit du naufrage rédigé par l’écrivain de l’Utile, Hilarion Dubuisson de Kéraudic ou le certificat de baptême du fils de Tsimiavo et rédigé par le gouverneur de l’île de France, Jacques Maillard de Mesle. Les sources archéologiques, quant à elle, donnent des preuves concrètes de l’incroyable adaptation de ces hommes et femmes oubliés.

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L’île de Tromelin est particulièrement inhospitalière : elle est petite (700 mètres de large sur 1800 mètres de long) et presque au niveau de la mer (son point culminant étant de huit mètres) ce qui fait qu’elle est régulièrement recouverte par les eaux, lors des tempêtes ou de cyclones. Elle est aride et aucun arbre qui aurait pu fournir un abri ne pousse. Toutefois, les esclaves ont pu survivre grâce à des puits d’eau douce saumâtre en creusant dans le sable et mangent les tortues ainsi que leurs œufs, les sternes noirs (sorte de goéland), les bernard-l’Ermite et le poisson pêché en mer. Ils ont également récupéré tout ce qu’ils pouvaient sur l’Utile échoué non loin de là. Si les Français ont pris une grande partie du bois et des voiles pour fabriquer une seconde embarcation plus petite, La Providence, ils ont également laissé le reste aux esclaves. Malheureusement, ces derniers n’ont pas pu en faire des abris car trop légers, ils étaient régulièrement soufflés par le vent des tempêtes. Les survivants se sont donc décidés à construire en dur avec les pierres et les coraux morts trouvés sur place. Ce sont ces restes de construction que l’équipe de Max a mis au jour et qui montrent quels trésors d’ingéniosité ont dû réunir les rescapés pour s’adapter et survivre.

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En conclusion, Les esclaves oubliés de l’île de Tromelin est une bande dessinée pour laquelle j’ai eu un véritable coup de coeur : très bien documentée et passionnante, elle permet non seulement de mettre au jour le destin de ces hommes et femmes oubliés de l’Histoire mais aussi de dénoncer la cruauté des négriers. Saviez-vous d’ailleurs que cet épisode sera relaté par l’abolitionniste Condorcet dans son livre Réflexions sur l’esclavage des nègres paru en 1781? L’abolition de l’esclavage, quant à elle, est d’ailleurs votée en 1794 avant d’être abrogée plus tard par Napoléon 1er en 1802 puis définitivement adoptée en 1848.

Pour en savoir plus, je vous conseille le visionnage de cette vidéo :

9 commentaires

  1. Il y a quelques mois je suis tombée sur une émission de france culture d’une heure (j’ai oublié le nom de l’émission par contre) qui évoquait cet épisode. Le journal de bord donnait beaucoup d’indications sur le comportement des marins et le traitement réservé aux esclaves.

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